Ce  jeudi 2 février, l’Université Catholique de Louvain la Neuve  (Belgique), a présenté comme chaque année ses trois docteurs Honoris Causa 2012. Parmi les lauréats figure Daniel Cornu. L’ancien journaliste suisse de 72 ans a livré dans les colonnes du Soir sa vision de l'identité, du rôle et des défis qui attendent les journalistes à l'heure des nouvelles technologies. L'occasion pour moi de m'entretenir en parallèle avec Benoit Grévisse, directeur de l’École de Journalisme de Louvain et parrain de Daniel Cornu le temps de cette cérémonie. Décryptage.
« Tous connectés… un levier pour la démocratie ? » 
Revenons tout d'abord sur le thème qui a été choisi par l'UCL pour la remise de ces doctorats. L'université s’est penché cette année sur le lien entre  les nouvelles technologies et le débat démocratique. Ainsi, pour échanger sur les apports  d’Internet, mais aussi sur ses failles et les défis qu’il reste à  accomplir, l’université a désigné trois personnalités, ayant des  rapports différents avec les nouvelles technologies.
- Salil Shetty pour Amnesty International : La  plus grande organisation de bénévoles au monde a été honorée à travers  son secrétaire général. Elle utilise les réseaux sociaux pour mettre en  relation ses 3 millions de membres et sympathisants, et donner de  l’ampleur à ses actions.
- Solange Lusiku, journaliste en Afrique : Elle  est la rédactrice en chef du « Souverain », l’unique journal d’opposition  publié à Bukavu, dans l’Est du pays, et lutte pour l’indépendance de la  presse : « Nous journalistes, on ne se laisse pas inféoder par des idéologies politiques. (…) on est là pour voir ce qui se passe, pour analyser, pour donner son opinion, pour écrire, pour informer » a-t-elle  déclaré après la remise de son prix. Elle milite également pour  permettre l’accessibilité d’internet à tous dans sa région, rendue  impossible par la grande pauvreté des habitants.
- Enfin, Daniel Cornu, ancien journaliste : Âgé  de 72 ans, il a notamment été rédacteur en chef de la «Tribune de  Genève», enseignant dans les universités de Genève, Neuchâtel et Zurich,  vice-président du Conseil suisse de la Presse. Il est aujourd'hui médiateur de presse.  C’est précisément sur cet homme que nous allons nous attarder.
« S’inquiéter du désordre »
Daniel  Cornu reconnait qu’Internet est un plus pour la démocratie car il  permet à toute personne, tout citoyen d’exprimer son opinion et donner  des informations sans passer par un média traditionnel : « C’est une  révolution. (…) On le mesure chez nous, dans nos vieilles démocraties  occidentales, mais on le mesure évidemment encore plus là où il n’y a  pas de démocratie ». Il regrette cependant le fait qu’ « un certain  nombre de personnes ont tendance à le faire d’une façon libre et  libertaire, ce qui conduit à créer du désordre, notamment par rapport  aux institutions ou à d’autres personnes ».
Si l’UCL a  choisi de le récompenser, c’est pour son ouvrage « Journalisme et  vérités », qualifié comme la référence en matière d’étude sur l’éthique  et la déontologie de l’information. Benoit Grévisse explique que Daniel Cornu a mis en  place dans ce livre un cadre théorique reconnu scientifiquement, qui se  base sur la réalité de l’évolution des pratiques de l’information : «  sa pensée permet de voir les enjeux de responsabilité sociale des  médias d’information dans le cadre des nouvelles technologies. Or on  sait à quel point ces nouvelles technologies  remettent à l’avant plan  la question de l’identité journalistique ». 
 « Menacés, les journalistes doivent mettre leurs pratiques et leurs valeurs en avant »
Dans  une interview accordée au quotidien belge Le Soir, Daniel Cornu est  longtemps revenu sur sa vision du journalisme, et surtout la manière  dont la profession doit procéder pour affirmer son identité et sa  crédibilité. Son leitmotiv : l’éthique. 
Il a pris soin d’exprimer son  opposition à l’appellation « journalisme citoyen ». Pour lui, ceux qui  s’expriment sur le net, sur les forums des journaux en ligne ou sur les  médias collaboratifs ont toute la légitimité pour participer au débat  public. Mais ils ne sont en aucun cas des journalistes. « Ils  n’en appliquent pas les pratiques. (…) Un journaliste se doit  d’identifier la source d’une information, il doit la recouper par au  moins une autre source indépendante de la première. L’internaute qui  envoi ce genre de contenu n’est pas tenu à ce genre de précautions. ». Le  journaliste se doit donc d’affirmer sa différence en triant, en donnant  un sens à l’information. Plus globalement, les nouvelles technologies  doivent pousser la profession à réfléchir sur la manière d’avoir une plus-value informationnelle.
« Être un accro du tweet, ce n'est pas ça qui fera la différence » 
Nous sommes encore dans une  période d’apprentissage de ces nouvelles technologies. Twitter en est  l’exemple criant : le réseau social est devenu un outil d’information en  tant que tel, mais pour Benoit Grévisse, ce n'est pas la bonne  direction pour le journalisme : « Maitriser les  technologies, être un accro du tweet, ce n’est pas ça qui fera la  différence entre un journaliste et le grand n’importe quoi sur le net  plus tard. Ce qui fera la différence c’est que le journaliste apporte  une plus-value, fasse des sujets bétonnés par les sources et montre au  lecteur son regard sur le monde ».  Avant d’ajouter « La  déontologie c’est réfléchir sur ce qu’est est un journaliste dans la  société aujourd'hui, et sur ce qui a un intérêt intellectuel à présenter  au public ». La réflexion identitaire et éthique apparait donc plus importante encore que l’appropriation des techniques modernes.
Recouper les sources, trier et sélectionner l'information, la remettre dans son contexte, là est la mission première du journaliste. Et c'est justement en proposant une information triée et pertinente que la profession obtiendra la plus-value attendue : « Certains pratiquent cette profession de façon plus sauvage que d’autres. (…) La presse doit en permanence prolonger sa réflexion déontologique. C’est vital pour elle. Ce qui est intéressant avec Internet, c’est que cela oblige les journalistes à se remettre en question, à veiller plus que jamais à la traçabilité de ses sources (…) et à ne pas relayer certaines informations, aussi. » précise Daniel Cornu.
« La force des journalistes, c’est leur déontologie » 
Recouper les sources, trier et sélectionner l'information, la remettre dans son contexte, là est la mission première du journaliste. Et c'est justement en proposant une information triée et pertinente que la profession obtiendra la plus-value attendue : « Certains pratiquent cette profession de façon plus sauvage que d’autres. (…) La presse doit en permanence prolonger sa réflexion déontologique. C’est vital pour elle. Ce qui est intéressant avec Internet, c’est que cela oblige les journalistes à se remettre en question, à veiller plus que jamais à la traçabilité de ses sources (…) et à ne pas relayer certaines informations, aussi. » précise Daniel Cornu.
Alors que la réflexion sur le  modèle économique des médias, et notamment de la presse écrite bat son  plein, il demeure capital pour la profession de ne pas négliger non plus  ces réflexions identitaires et déontologiques.
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