vendredi 3 février 2012

LES JOURNALISTES EN PLEINE QUÊTE IDENTITAIRE

Ce jeudi 2 février, l’Université Catholique de Louvain la Neuve (Belgique), a présenté comme chaque année ses trois docteurs Honoris Causa 2012. Parmi les lauréats figure Daniel Cornu. L’ancien journaliste suisse de 72 ans a livré dans les colonnes du Soir sa vision de l'identité, du rôle et des défis qui attendent les journalistes à l'heure des nouvelles technologies. L'occasion pour moi de m'entretenir en parallèle avec Benoit Grévisse, directeur de l’École de Journalisme de Louvain et parrain de Daniel Cornu le temps de cette cérémonie. Décryptage.

« Tous connectés… un levier pour la démocratie ? » 

Revenons tout d'abord sur le thème qui a été choisi par l'UCL pour la remise de ces doctorats. L'université s’est penché cette année sur le lien entre les nouvelles technologies et le débat démocratique. Ainsi, pour échanger sur les apports d’Internet, mais aussi sur ses failles et les défis qu’il reste à accomplir, l’université a désigné trois personnalités, ayant des rapports différents avec les nouvelles technologies.

- Salil Shetty pour Amnesty International : La plus grande organisation de bénévoles au monde a été honorée à travers son secrétaire général. Elle utilise les réseaux sociaux pour mettre en relation ses 3 millions de membres et sympathisants, et donner de l’ampleur à ses actions.

- Solange Lusiku, journaliste en Afrique : Elle est la rédactrice en chef du « Souverain », l’unique journal d’opposition publié à Bukavu, dans l’Est du pays, et lutte pour l’indépendance de la presse : « Nous journalistes, on ne se laisse pas inféoder par des idéologies politiques. (…) on est là pour voir ce qui se passe, pour analyser, pour donner son opinion, pour écrire, pour informer » a-t-elle déclaré après la remise de son prix. Elle milite également pour permettre l’accessibilité d’internet à tous dans sa région, rendue impossible par la grande pauvreté des habitants.

- Enfin, Daniel Cornu, ancien journaliste : Âgé de 72 ans, il a notamment été rédacteur en chef de la «Tribune de Genève», enseignant dans les universités de Genève, Neuchâtel et Zurich, vice-président du Conseil suisse de la Presse. Il est aujourd'hui médiateur de presse. C’est précisément sur cet homme que nous allons nous attarder.

« S’inquiéter du désordre »

Daniel Cornu reconnait qu’Internet est un plus pour la démocratie car il permet à toute personne, tout citoyen d’exprimer son opinion et donner des informations sans passer par un média traditionnel : « C’est une révolution. (…) On le mesure chez nous, dans nos vieilles démocraties occidentales, mais on le mesure évidemment encore plus là où il n’y a pas de démocratie ». Il regrette cependant le fait qu’ « un certain nombre de personnes ont tendance à le faire d’une façon libre et libertaire, ce qui conduit à créer du désordre, notamment par rapport aux institutions ou à d’autres personnes ».

Si l’UCL a choisi de le récompenser, c’est pour son ouvrage « Journalisme et vérités », qualifié comme la référence en matière d’étude sur l’éthique et la déontologie de l’information. Benoit Grévisse explique que Daniel Cornu a mis en place dans ce livre un cadre théorique reconnu scientifiquement, qui se base sur la réalité de l’évolution des pratiques de l’information : « sa pensée permet de voir les enjeux de responsabilité sociale des médias d’information dans le cadre des nouvelles technologies. Or on sait à quel point ces nouvelles technologies  remettent à l’avant plan la question de l’identité journalistique ». 

 « Menacés, les journalistes doivent mettre leurs pratiques et leurs valeurs en avant »

Dans une interview accordée au quotidien belge Le Soir, Daniel Cornu est longtemps revenu sur sa vision du journalisme, et surtout la manière dont la profession doit procéder pour affirmer son identité et sa crédibilité. Son leitmotiv : l’éthique. 

Il a pris soin d’exprimer son opposition à l’appellation « journalisme citoyen ». Pour lui, ceux qui s’expriment sur le net, sur les forums des journaux en ligne ou sur les médias collaboratifs ont toute la légitimité pour participer au débat public. Mais ils ne sont en aucun cas des journalistes. « Ils n’en appliquent pas les pratiques. (…) Un journaliste se doit d’identifier la source d’une information, il doit la recouper par au moins une autre source indépendante de la première. L’internaute qui envoi ce genre de contenu n’est pas tenu à ce genre de précautions. ». Le journaliste se doit donc d’affirmer sa différence en triant, en donnant un sens à l’information. Plus globalement, les nouvelles technologies doivent pousser la profession à réfléchir sur la manière d’avoir une plus-value informationnelle.

« Être un accro du tweet, ce n'est pas ça qui fera la différence »

Nous sommes encore dans une période d’apprentissage de ces nouvelles technologies. Twitter en est l’exemple criant : le réseau social est devenu un outil d’information en tant que tel, mais pour Benoit Grévisse, ce n'est pas la bonne direction pour le journalisme : « Maitriser les technologies, être un accro du tweet, ce n’est pas ça qui fera la différence entre un journaliste et le grand n’importe quoi sur le net plus tard. Ce qui fera la différence c’est que le journaliste apporte une plus-value, fasse des sujets bétonnés par les sources et montre au lecteur son regard sur le monde ».  Avant d’ajouter « La déontologie c’est réfléchir sur ce qu’est est un journaliste dans la société aujourd'hui, et sur ce qui a un intérêt intellectuel à présenter au public ». La réflexion identitaire et éthique apparait donc plus importante encore que l’appropriation des techniques modernes.

« La force des journalistes, c’est leur déontologie »

Recouper les sources, trier et sélectionner l'information, la remettre dans son contexte, là est la mission première du journaliste. Et c'est justement en proposant une information triée et pertinente que la profession obtiendra la plus-value attendue : « Certains pratiquent cette profession de façon plus sauvage que d’autres. (…) La presse doit en permanence prolonger sa réflexion déontologique. C’est vital pour elle. Ce qui est intéressant avec Internet, c’est que cela oblige les journalistes à se remettre en question, à veiller plus que jamais à la traçabilité de ses sources (…) et à ne pas relayer certaines informations, aussi. » précise Daniel Cornu.

Alors que la réflexion sur le modèle économique des médias, et notamment de la presse écrite bat son plein, il demeure capital pour la profession de ne pas négliger non plus ces réflexions identitaires et déontologiques.

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